!["C’était la fin des années 80, le monde de la nuit s’ouvrait à moi, pour devenir ce que je considère encore aujourd’hui comme l’une des scènes expérimentales les plus importantes. J’ai pu être le témoin d’une créativité absolument incroyable"]()
(©Mario Sinistaj)
Chorégraphe, plasticien, scénographe et metteur en scène d’opéras, Christian Rizzo est avant tout un artiste entier, qui incarne véritablement l’âme de ses créations et projets. Directeur du Centre chorégraphique national Montpellier Occitanie depuis 2015 (qu’il a dénommé ICI—CCN), il s’applique à ancrer cette institution sur son territoire, et à contribuer à leur rayonnement tant national qu’international.
Dans son travail, les arts se croisent avec poésie pour offrir une judicieuse et paradoxale alliance entre l’abstraction et la fiction. Processus créatif, vision et ambition, inspiration, Christian Rizzo se livre à nous et ouvre en grand les portes de son univers.
Métropolitain : Vous avez fait vos débuts à Toulouse en montant un groupe de rock, en créant une marque de vêtements et en passant par les arts plastiques à la villa Arson, à Nice. Comment êtes-vous arrivé au monde de la danse ?
Christian Rizzo : Les comédies musicales ayant bercé mon enfance, la danse a toujours été une pratique désirée. En tant que garçon, issu d’un milieu défavorisé, ce désir n’a pu être entendu. Passionné par la culture rock, j’ai beaucoup observé la présence scénique cathartique de ces artistes. Leurs mouvements, leur énergie étaient une émanation de ce que la danse pouvait représenter. Les arts plastiques se sont invités à un moment où je ne savais pas encore précisément quelle pratique artistique je souhaitais développer.
C’était la fin des années 80, le monde de la nuit s’ouvrait à moi, pour devenir ce que je considère encore aujourd’hui comme l’une des scènes expérimentales les plus importantes.
J’ai pu être le témoin d’une créativité absolument incroyable. Quant à la danse, elle a fini par s’immiscer, fortuitement. Accompagnant un ami à une audition, j’ai été sélectionné. Cela m’a permis de rencontrer un jeune chorégraphe (William Petit) qui préparait le concours chorégraphique international de Bagnolet. Il m’a engagé, et tout a commencé ! J’ai pu très vite être repéré par de nombreux chorégraphes français et internationaux avec lesquels j’ai par la suite collaboré.
![Ma démarche tente de concilier – sans les opposer – l’abstraction et la fiction, "Ma démarche tente de concilier – sans les opposer – l’abstraction et la fiction, en les plaçant sur un même plan"]()
« C’était la fin des années 80, le monde de la nuit s’ouvrait à moi, pour devenir ce que je considère encore aujourd’hui comme l’une des scènes expérimentales les plus importantes. J’ai pu être le témoin d’une créativité absolument incroyable » (©Mario Sinistaj) » (©Mario Sinistaj)
Métropolitain : En regardant votre travail, on ressent l’influence qu’ont pu avoir ces trois pratiques artistiques dans vos créations. Comment laissez-vous de la place à chacun ?
Christian Rizzo : Ce sont des pratiques qui sont importantes et dont j’ai pu faire l’expérience. L’acte créatif permet de plonger en soi. La mode, les arts plastiques et le rock sont en moi, de manière intrinsèque. Ils constituent mon ADN et nourrissent chacun de mes projets de création, sans avoir besoin de les convoquer ou de leur assigner une place particulière. Leur place est évidente. Plus particulièrement, la mode m’a permis de collaborer avec Christian Lacroix et la Maison Hermès. Elle continue de m’influencer fortement. Certains créateurs, certains défilés ont une grande importance, car ils ont – selon moi – largement contribué à traduire une pensée réflexive sur les représentations du corps.
Pour définir mes créations, on a beaucoup parlé d’une « danse plasticienne ». Cette définition me surprend car il s’agit moins de décrire une œuvre chorégraphique qui inviterait les arts plastiques, que de conduire les arts plastiques à entretenir une relation avec la danse. Aujourd’hui, les savoir-faire artisanaux me passionnent notamment en ce qu’ils constituent des pratiques qui articulent gestes, rigueur, poésie et matériaux. Je me sens proche de ces pratiques artisanales : je suis un artiste qui travaille à partir de matériaux, je fabrique, y compris la danse.
!["La politique tarifaire est volontairement accessible, et de nombreux
événements sont gratuits, alors n’hésitez pas, et osez sauter le pas !"]()
« L’acte créatif permet de plonger en soi » (©Mario Sinistaj)
Métropolitain : Justement, comment qualifieriez-vous votre démarche créative ?
Christian Rizzo : Ma démarche tente de concilier – sans les opposer – l’abstraction et la fiction, en les plaçant sur un même plan. L’une comme l’autre sont les deux faces d’une même pièce. Dans mon travail, il est toujours question de paradoxe, pour tenter la cohabitation de sujets qui pourraient être considérés comme antagonistes : le réel et l’imaginaire, la fiction et l’abstraction, la virtuosité et le quotidien…
Je procède ainsi, à la croisée du social et du romantisme, conduit par mon besoin de rencontrer l’autre. Mes créations ne cessent d’enquêter sur les rapports entretenus entre la communauté et la singularité de chacun. La communauté pour moi, reviendrait à une formule : « 1+1+1+… ». Autrement dit, la formule du respect de l’unité qui la compose. J’essaie de comprendre et de faire comprendre, par le biais de l’art chorégraphique, des notions que l’on ne comprend plus parce qu’on a le nez rivé dessus. Je tente ainsi de proposer du temps pour le recul et la perspective, afin de nous permettre de réinterpréter le monde, et tenter ainsi de le ré-enchanter en lui souhaitant un avenir. Il en va ainsi de mon projet pour le CCN Montpellier Occitanie.
!["Mon projet pour le CCN se traduit en actes concrets afin de l’inscrire de manière visible sur son territoire d’implantation que j’aime tout particulièrement"]()
« Mes créations ne cessent d’enquêter sur les rapports entretenus entre la communauté et la singularité de chacun » (©Mario Sinistaj)
Métropolitain : Vous avez pris, en 2015, la direction du Centre chorégraphique national Montpellier-Occitanie. Quel rapport entretient votre projet avec le territoire ?
Christian Rizzo : Je suis très heureux d’avoir obtenu la confiance des partenaires du CCN pour assurer la direction de cette institution phare du domaine chorégraphique, tout en lui donnant une nouvelle direction, une nouvelle vision dynamique et de nouveaux objectifs prenant appui sur son histoire. Mon projet pour le CCN se traduit en actes concrets afin de l’inscrire de manière visible sur son territoire d’implantation que j’aime tout particulièrement. Au regard des moyens dont il dispose, c’est un projet qui soutient et accompagne les artistes de manière responsable. Ce projet doit nous conduire à être fiers de l’existence de ce CCN, à considérer qu’il n’est pas une institution hors-sol, déconnectée de son territoire, de ses besoins et préoccupations.
C’est un projet de terrain, cultivant le désir d’itinérance et de partenariats, d’ouverture aux publics les plus larges. Le CCN est une plateforme de maillage très forte, entretenant une rencontre constante entre artistes, publics, intervenants pédagogiques et chercheurs.
Montpellier et l’Occitanie sont des territoires où la danse s’est considérablement développée et structurée. Aujourd’hui, d’autres territoires interviennent en soutien renforcé à la création chorégraphique contemporaine, à la recherche et à l’expérimentation. La concurrence est acharnée, et mon projet pour le CCN permet à Montpellier et à la région Occitanie de continuer à compter parmi les territoires qui promeuvent de manière exemplaire la danse contemporaine dans sa traduction la plus large.
!["Tout en cultivant un goût de la discrétion, je souhaite mettre ma notoriété au service du CCN et de ses partenaires"]()
« La concurrence est acharnée, et mon projet pour le CCN permet à Montpellier et à la région Occitanie de continuer à compter parmi les territoires qui promeuvent de manière exemplaire la danse contemporaine dans sa traduction la plus large. » (©Mario Sinistaj)
Métropolitain : Et ailleurs ? Le Centre chorégraphique ayant une notoriété et une dimension nationales et internationales
Christian Rizzo : J’ai la chance de faire partie des quelques chorégraphes français dont les créations connaissent un rayonnement national et international particulièrement fort en termes professionnel, médiatique et public. Tout en cultivant un goût de la discrétion, je souhaite mettre ma notoriété au service du CCN et de ses partenaires. Mes créations sont présentées et soutenues par une diversité de théâtres, festivals et musées : des plus emblématiques aux plus émergents. Il est pour moi très important d’être présent à tous les niveaux, avec engagement et humilité. Depuis 2015, le CCN est présent en Asie, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, en Afrique, ainsi que dans toute l’Europe. Ainsi, nous avons réussi à rayonner (et faire rayonner nos partenaires publics) dans plus de 40 pays.
En terme de coopérations internationales nous entretenons des relations avec de nombreux opérateurs culturels. A titre d’exemple, nous avons signé une convention triennale avec l’un des plus importants théâtres à l’échelle internationale, situé à Hong-Kong, que j’ai inauguré avec l’une de mes créations. Le Ministère de la culture de Taïwan m’a récemment remis le prix de la culture au titre des coopérations nouées avec les artistes et équipements de ce pays. C’est la première fois que ce prix a été remis à un artiste.
Les prestigieux festivals DecemberDance (Belgique) et le Taiwan International Festival of Arts ont fait appel à moi et au CCN pour assurer la programmation de leurs événements. Ainsi, les grands équipements culturels internationaux sont très attentifs à ce que produit mon projet pour le CCN. Tout ce que nous entreprenons à l’échelle locale a une résonnance à l’échelle internationale, et réciproquement. Avec l’équipe du CCN, nous agissons pour soutenir la création chorégraphique contemporaine, la recherche et l’expérimentation en art, les faire rayonner, et les valoriser pour en faire des leviers durablement structurants.
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« J’ai la chance de faire partie des quelques chorégraphes français dont les créations connaissent un rayonnement national et international particulièrement fort en termes professionnel, médiatique et public » (©Mario Sinistaj)
Métropolitain : Quels sont vos objectifs pour le Centre chorégraphique ?
Christian Rizzo : Le CCN Montpellier Occitanie est le seul équipement culturel français et européen à intervenir en structuration de l’ensemble de la filière professionnelle en danse contemporaine. C’est un atout considérable dont il faut avoir conscience ! L’objectif premier est de développer et faciliter les rapports qu’entretient l’art contemporain, et particulièrement l’art chorégraphique, avec chacun(e).
Malgré les idées reçues, la danse contemporaine n’est pas exclusive : elle n’est réservée ni à une élite, ni à un public averti. Nous portons avec conviction l’idée selon laquelle il est possible de trouver un espace d’émancipation grâce à la création contemporaine et aux pratiques artistiques.
Cela a été mon cas ! J’ai eu cette chance. C’est désormais à mon tour d’être porteur de ce que j’ai reçu. Depuis 2015, les publics et les partenariats ne cessent de se développer. La reconnaissance du CCN est solidement et durablement établie. Par ailleurs, par le biais du Master Exerce en chorégraphie (le seul master de ce type en France) que nous organisons avec l’Université Paul Valery, nous accueillons des artistes du monde entier qui s’établissent pendant deux ans à Montpellier, et collaborent ainsi avec des artistes et partenaires du territoire. Le projet du Master contribue également à l’inscription de nouveaux artistes chorégraphiques, dès lors que certains d’entre eux choisissent d’implanter leur compagnie à Montpellier ou en Région.
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« C’est désormais à mon tour d’être porteur de ce que j’ai reçu » (©Mario Sinistaj)
Métropolitain : Les acteurs culturels sont souvent les premiers à pâtir des choix politiques en termes de budget. Pensez-vous que le Centre chorégraphique soit soutenu à sa juste valeur ?
Christian Rizzo : Nous avons la chance de travailler main dans la main avec nos partenaires. Cela étant, je crois que la puissance de ce nouveau projet pour le CCN n’est pas encore tout à fait perçue dans son étendue. En termes de financement, le CCN étant une structure labellisée par l’État, ce dernier est notre principal financeur, suivi par la Région Occitanie. La Métropole de Montpellier co-finance également le projet, et nous permet de bénéficier d’une mise à disposition de nos locaux situés au sein de l’Agora.
La situation financière dont j’ai hérité à mon arrivée ne permet pas au CCN d’être aussi puissant que son projet. C’est un paradoxe. Concrètement, même si les ressources financières liées à la diffusion de mes créations contribuent de manière extrêmement importante à la mise en œuvre du projet, le financement du fonctionnement du CCN requiert une intervention de ses partenaires pour lui permettre d’être renforcé. Le CCN jouit d’une expertise inestimable incarnée par son équipe. Le principal enjeu à venir est de convaincre nos partenaires publics que le projet du CCN agit comme un levier vertueux en faveur des politiques publiques de la culture, tout comme il l’est en termes d’intégration sociale, d’émancipation, et d’attractivité de son territoire.
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« Le principal enjeu à venir est de convaincre nos partenaires publics que le projet du CCN agit comme un levier vertueux en faveur des politiques publiques de la culture, tout comme il l’est en termes d’intégration sociale, d’émancipation, et d’attractivité de son territoire » (©Mario Sinistaj)
Métropolitain : Pouvez-vous nous parler brièvement de la programmation à venir ?
Christian Rizzo : Deux expositions seront organisées dans l’espace du Centre chorégraphique dédié aux arts visuels (La chambre d’écho) : l’une consacrée à l’artiste Félicia Atkinson qui s’intéresse notamment aux questions d’improvisation, d’indisciplinarité et d’abstraction, l’autre consacrée à l’artiste montpelliérain Geoffrey Badel, qui donnera une forme plastique à une enquête réalisée avec de (vraies) chasseuses de fantômes dans les espaces du CCN ! Dans le cadre du programme baptisé « Par/ICI: » (articulant spectacle et laboratoire de recherche), les publics pourront également découvrir pour la première fois à Montpellier les très forts travaux de la chorégraphe suisse Yasmine Hugonnet, et du duo catalan nyamnyam. En février, mai et juin aura lieu la présentation publique des travaux des jeunes artistes étudiant au sein du Master Exerce. Des rencontres publiques seront aussi organisées avec les chorégraphes Michèle Murray (Montpellier) et Catarina Miranda (Portugal) invitées en résidence.
Métropolitain : Un dernier mot pour celles et ceux qui n’ont pas encore poussé les portes du CCN ?
Christian Rizzo : Le CCN est un espace public dédié à la danse, un lieu culturel convivial et ouvert à tous les publics désireux de découvrir ou d’approfondir l’étendue de la danse et du chorégraphique. De nombreux rendez-vous y sont organisés toute l’année pour leur permettre de rencontrer des œuvres, des artistes et leurs processus de créations. C’est également un lieu de pratiques de la danse ouvert aux amateurs comme aux danseurs professionnels. La politique tarifaire est volontairement accessible, et de nombreux événements sont gratuits, alors n’hésitez pas, et osez sauter le pas ! Ensemble, nous sommes ICI.
Pour plus d’informations et pour retrouver la programmation complète du centre, rendez-vous sur son site internet.